mardi 6 mai 2014

La légèreté, paradigme de la danse


L'altière cambrure
du défi gravitationnel
Aucun art plus que celui-ci ne tend à dominer sinon vaincre la pesanteur. Aucune autre discipline n'engage aussi loin ses adeptes au dépassement du poids. Avec pour tout accessoire leur corps, les danseurs apprennent à se détacher du sol avec une insolence qui n'appartient qu'à eux. La photo ci-contre le raconte assez bien : les pieds sur terre prennent ici l'apparence d'un effleurement, comme une concession. La danse classique -mais toute danse a la technique classique pour grammaire- va vers le haut, l'élancé, l'envol. On disait que Nijinski restait immobile une fraction de seconde, à l'apogée d'un saut. Une histoire où la pesanteur est l'ennemie autant que l'alliée, l'apesanteur un idéal autant qu'un mirage.


Svetlana Zakharova,
dans Shéhérazade
La pesanteur terrestre est un vrai sac à malice. Ses règles combinent l'attraction universelle (que rien n'abolit), le frein de l'air ou de l'eau et la résistance du sol, force opposée qui renvoit tout corps vers le haut. L'équilibre est une autre affaire : il établit la stabilité selon le rapport entre la surface d'appui et le centre de gravité (le point de jonction -par résultante- des applications de notre poids). Bouger, c'est déplacer de concert et sa surface d'appui et son centre de gravité. Tomber de tout son long c'est perdre la projection de l'un dans la zone de l'autre. Retomber sur ses pieds, c'est obéir (et non résister) à la pesanteur en ayant su maintenir l'équilibre. Tout retour au sol, maîtrisé, élégant ou accidentel, est une chute, résultat des lois physiques de la gravitation. Tout élan est un cadeau de la pesanteur car le sol qui est obstacle est aussi tremplin. Les exploits des danseurs ne défient pas la pesanteur : ils en sont la magistrale conséquence.

Âme, de Benjamin Hatcher, 2008
S'émanciper métaphoriquement du poids  est un idéal commun à tous les artistes. Dans le cas des danseurs, le poids est réel et la légèreté autant le propos que la condition de leur art. Imaginant des chorégraphies nouvelles, ils se sont lancés dans leur conquête de l'espace. Julie Nioche avec ses Brèves suspensions simule sa propre mise en apesanteur. Dans Âme, Hatcher étend les évolutions de ses interprètes aux airs. Quant à la troupe 9.81...

Dans les spectacles qu'elle donne, les danseurs prennent appui sur des plans verticaux, murs ou façades. Les chorégraphies sont exécutées en suspension grâce à des câbles élastiques. Les notions de haut et de bas sont totalement brouillées ; celle de pesanteur, comme pulvérisée. Ici, un extrait de Suspend's créé en 2005 par Eric Lecomte (fondateur de 9.81) et Odile Gheysens de la compagnie in–SENSO.


https://www.youtube.com/watch?v=M_B9ud6sVcg  


2 commentaires:

  1. Le danseur et chorégraphe russe Ninjinski était effectivement réputé pour ses talents dans les sauts, défiant ainsi les lois de l'apesanteur...Ce fut particulièrement remarquable lorsqu'il présenta sa nouvelle chorégraphie de l'Après midi d'un faune (qui défraya la chronique pour de nombreuses autres raisons). Des journalistes l'interrogèrent "mais comment faites-vous pour faire des sauts aussi remarquables?" Et lui de répondre: "mais il suffit juste de rester en l'air un peu plus longtemps!"...

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    1. Est-ce simplke !!! A ce propos...
      Mon enfant bleu est le site très émouvant tenu par la maman d'un enfant autiste. Elle aussi insiste sur les sauts de son fils et revient à Nijinski au sujet duquel son psy parlait de repli autistique. Saut et autisme donc... si
      ça t'amuse.
      http://monenfantbleu.canalblog.com/archives/2013/03/17/26573763.html

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