mercredi 19 mars 2014

Ardents et divins Séraphins


Alonso Cano
(1601-1667)
Ces représentations d'anges réduits à une tête et deux ailes en collerette m'intriguent depuis longtemps. Je crois y avoir prêté attention pour la première fois dans la cathédrale de Grenade où une statuette de la madone la représente, les pieds posés sur un socle d'angéliques têtes. La voici, ci-contre, aussi gracieuse que dans mon souvenir. Quant à ces têtes ailées, elles sont, semble-t-il, une des représentations possibles des Séraphins, sacrées... créatures sacrées dont il y a fort à dire et à voir. Contrairement à leurs confrères, esprits faits d'air, les Séraphins sont de feu. Leur nom, dérivé du verbe hébreux saraph -brûler- signifie donc littéralement les Brûlants. Leur place est auprès du Père dont ils gardent le trône ; leur rôle consiste à louer le Seigneur. Ils lui vouent un amour ardent et l'accompagnent lors de ses apparitions. C'est ainsi que la Bible en fournit une description, suite à une vision qu'eut le prophète Isaïe au Temple de Jérusalem : "Ils avaient chacun six ailes : deux dont ils se couvraient la face, deux dont ils se couvraient les pieds et deux pour voler." 
(Isaïe, 6 : 1-7) 


Livre de prière de Jean
 
de Berry, XIVème siècle
Ce texte est à l'origine des représentations où les Séraphins apparaissent comme une sorte de losange étiré. Quatre de leurs minces et longues ailes sont, au repos, croisées verticalement. L'ensemble -fort géométrique- dissimule leur corps pour ne révéler qu'une tête auréolée. On retrouve cette imagerie dans les enluminures des parchemins et des livres d'heures, dans l'art byzantin, chez Giotto, Le Pérugin... La couleur rouge rappelle leur nature de feu. Quant à savoir quand et comment le Séraphin s'est retrouvé réduit à une seule tête au cou bordé d'ailes, je n'ai trouvé qu'une piste, inattendue mais peu éclairante : la hiéraldique. 
J'en suis quitte pour me pencher sur quelques traités d'iconographie chrétienne.

Giovanni Bellini, Madonne aux
anges rouges
, 1485
Celui de Mgr Xavier Barbier de Montault (1890) a l'immense mérite d'être synthétique et clair. En résumé, pour représenter ces purs esprits que sont les anges, l'art les a dotés de forme humaine (adolescent androgyne ; jeune adulte, robuste et imberbe) ou d'enfant (représentation qui privilégie le caractère de candeur et d'innocence). Afin d'idéaliser ces figures, il convenait de les rendre le plus immatérielles possible : enlumineurs, sculpteurs et peintres en ont escamoté ou ôté les pieds, les jambes et le bassin, affranchissant les anges des besoins et passions d'ici-bas. Emergeant des nuages, l'ange en buste est une créature céleste, animée d'amour (dans sa poitrine bat un cœur) et d'intelligence. L'évolution aboutit à ne garder que leur tête, siège et lieu de leur essentielle spirtualité. 


Immaculée Conception,
anonyme, XVIIe siècle
Finalement, même s'ils sont les plus élevés et les moins incarnés, rien ne désigne les seuls Séraphins comme étant mes chères têtes volantes. Dans l'iconographie chrétienne, ils apparaissent presque exclusivement associés à la Vierge, regina angelorum rappelons-le. On n'en reste pas moins dans la spéculation... Si Saint Paul, Saint Denis l'Aréopagite et Lambert de Saint-Omer ont posé les bases de l'angélologie, les historiens de la Bible rappellent, eux, que ces êtres ailés sont, par syncrétismes successifs, les héritiers des mythologies assyriennes et babyloniennes et ceux de l'Art, que la représentation des anges ailés n'apparaît qu'au IVème siècle, dans l'abside de l'église Sainte-Pudentienne à Rome. Attendre des réponses trop rigoureuses est sans doute illusoire.

Pour conclure, je laisse la parole à André Couture, professeur à la faculté de théologie de Laval : "D'autres virtuoses récupèreront les anges surtout à partir de la Renaissance, et ce sont les artistes [...] Tout en restant fidèles aux grandes intuitions de la foi, ils parlent aussi le langage de la religion populaire et savent s'adresser aux gens avec des images à la fois belles et naïves. Que se cache-t-il sous ces délicates silhouettes ? Sans doute un effort pour séduire le croyant, mais peut-être aussi du rêve, ou bien parfois de discrètes allusions aux génies ou aux divinités du paganisme gréco-romain. Ils traduisent en images souvent admirables les intuitions auxquelles la croyance populaire était sensible."

Détail d'une toile du
Pérugin (1438-1523)

Sources : http://www.angelfire.com/wi/zoneX/guideanges.html
http://www.er.uqam.ca/nobel/r14310/Anges/Religion2.html (intervention complète d'André Couture)
http://spiritualite-chretienne.com/anges/ange-gardien/iconog13.html (extraits du Traité d'Iconographie Chrétienne cité)

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